Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil
--> Haruki Murakami
Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil raconte l'histoire d'Hajime, un quadragénaire japonais...
Son enfance de fils unique été marquée par son amitié avec Shimamoto-san, une petite fille ensuite perdue de vue lors d'un déménagement. Aujourd'hui, c'est un homme dont on peut dire qu'il a réussi : marié, père de deux petites filles, il jouit d'une confortable situation sociale et professionnelle, et profite pleinement de cette vie rêvée. Cependant, un soir, ses habitudes confortables sont remises en question avec l'arrivée, dans l'un des bars qu'il possède, d'une femme très élégante qui n'est autre que Shimamoto-san, son amie d'enfance.
Emu par ces retrouvailles et par l'évocation de leurs souvenirs communs, Hajime est surtout fasciné par la femme qu'il découvre : belle et mystérieuse, elle refuse de révéler quoi que ce soit sur les trentes années précédentes. Au fur et à mesure de leurs discussions, car Shimamoto-san revient régulièrement dans le bar, Hajime se rend compte que sa vie confortable et routinière lui pèse. Tiraillé entre son devoir d'époux et de père, et l'attirance grandissante qu'il éprouve pour son amie, malgré (ou à cause de) ses nombreuses parts d'ombre, il perd petit à petit goût à ce qui le rendait heureux auparavant, et culpabilise d'autant plus.
Pour reprendre une expression mâchée jusqu'à l'os, on pourrait croire que ce roman est la chronique d'un adultère annoncé : l'homme qui, pris par le démon de midi, tente de se fabriquer un univers nouveau et excitant avec une femme terriblement troublante, énigmatique et insaisissable. C'est ne pas connaître Haruki Murakami, dont le roman initiatique Kafka sur le rivage a connu un très grand succès (et dont Neko est un grand admirateur) ; loin de la simple évocation de la vie d'un homme d'aujourd'hui aux prises avec ses pulsions, l'auteur construit, comme à son habitude, une sorte de monde parallèle, proche du nôtre, mais aussi plein d'amertume et de loufoquerie. Le mystère est omniprésent, le fantastique est toujours prêt à s'immiscer dans un quotidien aigre-doux, rythmé par les petites réussites et les grandes trahisons.
Ce livre, donc, peut se lire à plusieurs niveaux ; comme une sorte de miroir de notre société actuelle, qui, dans la réussite la plus complète, finit par s'en lasser et chercher un ailleurs plus excitant, supposé transcender nos vies ; comme une fable sur le pouvoir des souvenirs, racontés ou tus, qui peuvent bouleverser une vie, parfois de façon irréversible ; comme une interrogation sur ce qu'on appelle l'âme-soeur, et qui semble, lorsque l'on referme ce livre, n'être qu'un leurre, une image attirante et trompeuse, qui s'évanouit alors qu'on pense l'avoir atteinte, mais qui laisse pourtant des marques irrémédiables.