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Le vieux qui lisait des romans d'amour
--> Luis Sepùlveda

El Idilio, petit village au bord d'un affluent de l'Amazone, est loin d'être un lieu idyllique...

Peuplé de chercheurs d'or, d'aventuriers, d'Indiens Jivaros alcooliques et de colons désireux de se faire une situation en s'installant sur un territoire encore vierge de la marque de l'homme "civilisé", El Idilio est une sorte de verrue de la civilisation sur la berge sauvage du fleuve.

Lorsqu'une barque contenant le cadavre d'un homme blanc est amenée au village, le maire raciste et incompétent accuse les Indiens Shuars, qui vivent dans la forêt vierge. Seul Antonio Bolivar, un vieil homme solitaire et taciturne, y voit l'attaque d'un fauve : une ocelote furieuse dont le gringo a tué les petits. Celui qu'on appelle "le vieux" a en effet longtemps vécu avec les Shuars, au contact de la nature sauvage de la forêt amazonienne et en connaît ses secrets et ses mystères. Lorsqu'un second cadavre est découvert, les habitants d'El Idilio comprennent que le félin se rapproche dangereusement du village. Le maire, accompagné par quelques hommes, organise une chasse pour le tuer. Antonio Bolivar, malgré son âge, s'enfonce avec eux dans la végétation et les dangers de la forêt amazonienne...

Loin de la description d'une simple végétation sauvage et luxuriante, peuplée de perroquets et de gros chats, Sepùlveda fait la peinture d'une nature cruelle, gonflée d'une humidité presque malsaine et qui, blessée par les hommes, réagit comme une bête fauve. Ici, la forêt est un personnage à part entière, immuable et écrasante, mais surtout mortelle : les marécages avalent les hommes, les singes déchirent la chair et les fourmis nettoient les os. Ce gigantesque organisme qui avale, digère, mais ne recrache rien est pourtant attaqué, blessé de toutes parts par les hommes. Ceux-ci chassent pour l'argent, tuent sans aucun scrupule, abattent les arbres pour construire des villages, obligent les Shuars à s'exiler dans les profondeurs de la forêt, s'enrichissent de l'or du fleuve, s'emparent, au nom d'un certificat de propriété, de terres qui n'appartiennent qu'à la forêt. 

Ce n'est pas la vision d'un écologiste utopiste dont le discours serait "la nature est belle, il faut la protéger". C'est une constatation réaliste, sans concession et pleine de douleur, de la bêtise et de la violence gratuite des hommes. De ceux qui s'enfoncent dans la forêt sans en connaître la réalité dangereuse, faisant seulement confiance à leur fusil, et qui, pour des peaux minuscules, déciment une portée entière d'ocelots. De ceux qui détruisent une forêt vivante et ancestrale pour une poignée de pépites d'or ou quelques fourrures. Ces hommes qui sont à la fois si faibles et si forts, qui ne connaissent pas la forêt et ses règles, mais qui ont un fusil et des balles.

Le vieux est, peut-être sans le vouloir, un lien entre deux mondes qui s'opposent et se détruisent. Dans sa jeunesse, il a appris auprès des Shuars à vivre avec la forêt, dans son sein, en la respectant. Mais, s'il se comportait comme un Indien, il n'en était pas un. Lorsqu'il brise les règles en se servant d'une arme à feu, il est contraint de regagner la civilisation, de retourner vivre à El Idilio. Là, il découvre les romans d'amour, ceux qui sont tellement émouvants et qui finissent bien. C'est la lecture qui lui fait découvrir la beauté que peut receler le coeur humain, et qui est tellement absente à El Idilio. Il semble mépriser les hommes qui y vivent, en particulier le maire du village. En revanche, il respecte profondément la forêt, et considère son adversaire dans la chasse, l'ocelote, comme une égale ; c'est pourquoi il la comprend si bien. Déchiré entre la forêt amazonienne qui le rejette, et le monde des hommes qu'il rejette, le vieux est contraint de rester spectateur d'un massacre dont l'issue ne peut être que tragique.

Le vieux qui lisait des romans d'amour est un livre bref, intense, poétique, qui prend aux tripes et laisse, au bout du compte, un arrière-goût de malaise...

Ecrit par Sacha, le Samedi 24 Juin 2006, 10:44 dans la rubrique Lectures.